Interview réalisée par Mr Florent Dabadie, et publiée sur : http://www.huffingtonpost.fr
Lien direct : http://www.huffingtonpost.fr/florent-dabadie/kazuyo-sejima-architecte-louvre-lens_b_2236604.html?utm_hp_ref=france
Le 4 décembre 2012 voit l'inauguration du très attendu Louvre-Lens (ouverture au public le 12), dernière réalisation du duo japonais de l'agence SANAA : Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, lauréats du prix Pritzker 2010, le Nobel de l'architecture.
Kazuyo Sejima, deuxième femme de l'histoire après Zaha Hadid à remporter cette prestigieuse récompense, est la fée de l'architecture contemporaine ; proche de la nature, humble, douce, infatigable passionnée. Interview avec une des plus brillantes femme japonaise au monde.
Tadao Ando, Arata Isozaki, Toyo Ito, Shigeru Ban, ou le jeune Junya Ishigami... et, bien sûr vous avec SANAA ; les architectes contemporains japonais sont demandés à travers le monde, comment expliquez-vous un tel succès?
"Il est vrai que ces dernières années toujours plus d'architectes japonais sont appelés à participer à de grandes compétitions et les remportent. Peut-être que la "légèreté" de l'architecture japonaise est dans l'air du temps. Je pense que l'architecture japonaise est plus légère que l'architecture européenne. Il me semble que depuis toujours les Européens lorsqu'ils dessinent les plans de fondation d'un bâtiment imaginent des murs de 60, 70 centimètres d'épaisseur, c'est une présence considérable. Les Japonais eux, ont reçu en héritage les maisons en bois, c'est pour cela qu'encore aujourd'hui nos murs font rarement plus de 20 centimètres. Là réside la plus grande différence. C'est une différence culturelle et physique."
Justement, en France on parle de vous (Kazuyo Sejima et son partenaire Ryue Nishizawa) comme "deux architectes en quête de légèreté". D'autres louanges qui reviennent pour définir vos œuvres sont le minimalisme, la transparence, la pureté, la simplicité, le silence, la liberté. Ces mots sont-ils l'essence de vos créations ?
"Oui, on peut le dire. La transparence est un concept qui nous intéresse beaucoup, mon partenaire Ryue Nishizawa et moi. Ce sera une notion clé du Louvre-Lens, c'était déjà le cas avec le Musée du XXIe siècle à Kanazawa. Les gens qui se trouvent dans le musée peuvent profiter de la nature entourant le bâtiment, tout comme ceux qui sont à l'extérieur peuvent jeter un coup d'œil à ce qui se passe à l'intérieur ; j'attise leur curiosité."
La nature, l'environnement sont des thèmes de notre époque, et depuis toujours au cœur de votre philosophie ?
"L'homme étant né et vivant de la nature, nous avons toujours voulu créer une architecture proche de celle-ci. Bien sûr l'architecture est conçue pour les hommes et censée les protéger de cette nature, du vent ou de la pluie par exemple, mais elle ne doit pas être en opposition avec son environnement. Nous cherchons la communion.
Quand un de nos bâtiments est au milieu d'une ville, nous essayons tout de même de le faire vivre avec son environnement, sans jamais l'isoler. Quel que soit le lieu, nous voulons que l'espace intérieur soit en relation avec l'espace extérieur."
Cette interactivité avec l'environnement est frappante dans le cas de votre "New Museum" du quartier de Bowery dans le bas de Manhattan à New York...
"Oui, sa structure extérieure, la perception de la façade change selon les quatre saisons. Comme c'est un musée et que l'on a besoin de larges murs vides, nous n'avions pas la possibilité de réaliser de grandes fenêtres, mais nous voulions tout de même garder une relation avec le monde extérieur. Ainsi,avons-nous réalisé la façade avec un matériau de mèche métallique, une espèce d'aluminium, un peu brillant, dans les tons des ciels nuageux de l'hiver New-Yorkais afin que notre bâtiment disparaisse dans son ciel, comme par enchantement. À la fin de l'été au contraire, la douce lumière de l'ouest donne une certaine force au métal et met le bâtiment en relief, comme un rocher du Grand Canyon. Je voulais donner plusieurs visages à ce musée.
En ce qui concerne sa forme, pour éviter d'en faire un grand cube fermé, j'ai assemblé plusieurs boîtes ouvertes empilées et un peu décalées. Par ces légers décalages j'ai fait entrer la lumière, j'y ai aussi installé des petites terrasses."
Pour vous l'architecture est avant tout l'expression de l'architecte, un peu comme une œuvre d'art, ou est-ce comme le disait Oscar Niemeyer d'abord un bâtiment qui doit faciliter la vie des hommes, c'est à dire un objet fait pour être utilisé ?
"Contrairement à l'art, l'architecture est aussi objet que l'on utilise, en cela Niemeyer a sûrement raison. Elle doit être au service des hommes, mais elle n'est pas que cela.
J'aimerais que l'on se sente bien dans les lieux que je crée, comme moi je me sens bien à la montagne, à l'air pur ou près de la mer.
Mon ambition d'architecte, quand je construis un bâtiment, est d'en faire aussi un lieu de communication. En effet, celle-ci ne passe pas seulement par les médias, les téléphones portables ou les ordinateurs. L'architecture doit tenir ce rôle de liaison entre les hommes afin qu'ils réfléchissent ensemble. L'architecture est une création au milieu de laquelle naît la création."
Parmi les noms qui circulent au Top 10 voire du Top 20 des plus grands architectes d'aujourd'hui il n'y a que Zaha Hadid et vous comme femme...
"Il y a beaucoup plus de femmes dans les bureaux d'architectes de nos jours. Dans ma génération, c'était plus difficile, mais cela vaut pour tous les métiers, car les femmes ne pouvaient pas travailler facilement au Japon à l'époque . Pour moi aussi ce fut un choix de vie. Ce travail prend presque tout mon temps, je n'ai donc pas pu élever d'enfants. Aujourd'hui il est admis que la femme travaille et elle peut plus facilement concilier le rôle de mère et le travail.
Quant à mon succès au plus haut niveau en tant que femme, disons que j'ai eu la chance de gagner une compétition, puis deux et cette succession de bons résultats m'ont apporté de nouvelles chances. Mais je ne me repose jamais sur mes lauriers, car même aujourd'hui, je perds aussi beaucoup de compétitions."
L'architecture, était- elle votre destinée depuis l'enfance ?
"Je ne sais pas. Je me souviens avoir vu toute petite une photo de la célèbre maison de Kiyonori Kikutake (un des fondateurs du mouvement "métaboliste" d'architecture japonais), la "Skyhouse" (1957) dans un magazine de ma mère. Ce fut un choc pour moi.
Nous habitions dans la campagne japonaise, il n'y avait ni architecture ni art et à la vue de la photo de cette maison, j'ai été éblouie : "Cela existe des maisons comme cela !".
Il se trouve que peu après, mes parents ont pensé à construire une maison. J'ai alors découvert les plans d'architectes, je voulais participer, je disais à mes parents "et si ma chambre était comme ça...". J'étais passionnée. Le temps a passé, j'ai grandi, est venu le moment d'entrer à l'université et je ne savais pas vraiment quoi faire. C'est alors que je me suis souvenue de cette expérience, du plaisir que j'avais pris à regarder et imaginer des plans d'architecte et j'ai décidé de tenter le cursus d'architecture. C'est ainsi que tout a commencé. Ensuite, par une autre merveilleuse coïncidence, alors que j'étais en première année d'université, je suis à nouveau tombé sur une photo de la "Skyhouse" de monsieur Kikutake. J'ai compris pour la première fois qu'il était un personnage célèbre de l'histoire de l'architecture japonaise, et à partir de ce moment-là, la curiosité et la passion pour mes études ont décuplé."
Vous avez aussi vaincu votre timidité ?
"Selon mes parents j'étais en effet un enfant très timide, je n'aimais pas aller à la rencontre des gens. Petite, je n'étais pas non plus particulièrement bonne dans les classes artistiques. Mais à l'université, l'architecture m'a passionnée et les choses se sont faites naturellement jusqu'à ce que cela devienne ma profession.
Je crois qu'il est important dans la vie de trouver une activité qui nous plaise et si l'on a cette chance, montrer beaucoup de persévérance."
Pouvez-vous nous parler un peu du Louvre-Lens ?
"C'était une compétition. On nous demandait de penser à une architecture un peu en opposition à celle du Louvre à Paris.
Le lieu désigné est un ancien carreau de mine reconquis par la nature. Autour du site, les maisons en brique des cités d'ouvriers sont alignées. Le site est sur une petite colline et le paysage végétal est très beau.
La surface du lieu étant très grande, je voulais faire une architecture qui se fonde dans l'environnement, Je voulais que le musée soit partie intégrante du parc qui l'entoure. Les responsables du Louvre, pour l'accrochage des œuvres, ont pensé à une présentation très originale. Par exemple, les tableaux ne seront plus séparés en "Ecole française","Ecole italienne", "Ecole de l'Europe du Nord", mais présentés de façon transversale, par chronologie. On pourra ainsi ressentir les liens entre les différentes écoles à travers le monde et à la même époque."
Un de vos rêves serait-il de réaliser une école ?
"Oui, une école élémentaire ou un collège. Dans le contexte actuel, les écoles connaissent beaucoup de problèmes et de préoccupations de sécurité et ces espaces sont de plus en plus fermés. Alors j'aimerais réfléchir à un nouvel espace, ouvert, où l'enfant puisse donner libre cours à son imagination et ne pas se sentir enfermé."
Le métier d'architecte est un des plus prenants au monde, on dort peu et on voyage beaucoup. Avez-vous du temps libre et comment l'employez-vous ?
"Le temps libre est rare et précieux, je le trouve en m'occupant des fleurs de mon jardin, ou pendant mes nombreux voyages où je suis hors d'atteinte et où je peux, à loisir, contempler les paysages par la fenêtre des trains et des avions."
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